Des criminels presque ordinaires

Publié le par USD CGT 46

 Pour les jurés de la cour d'assises, c'est souvent la plus grande surprise. Et les magistrats professionnels, même les plus expérimentés, sont toujours plongés dans une grande perplexité.

  Car il est toujours pénible de ne pas comprendre.



   Rien dans son enfance ne semblait sortir du lot. Une famille stable, une scolarité sans rupture, un caractère agréable et ouvert selon tous ceux qui l'ont côtoyé. Un jeune homme décrit par tous comme sympathique, calme, ne cherchant pas les histoires.

  Pourtant ce soir là il est venu à la nuit tombée au domicile de son père qui dormait. Il était accompagné d'un copain. Il est monté jusque la chambre à l'étage, a brusquement ouvert la porte d'un grand coup de pied. Puis il a tiré sur son père. Deux fois. Une première fois alors que ce dernier s'était assis sur le bord de son lit. Une seconde après qu'il soit tombé au sol. Il ne lui a laissé aucune chance. La volonté de le tuer était certaine.

  Pendant le procès ce jeune homme a toujours répondu aux questions. Il s'est montré coopératif, semblait vouloir répondre au mieux aux attentes de la cour. Sauf sur un point. Car il n'a jamais été en mesure d'expliquer son geste.

  De la même façon, les membres de la famille, les amis, les copains, les voisins, tous ceux qui ont été questionnés ont été dans l'incapacité de proposer ne serait-ce qu'une hypothèse sur les raisons d'être de son geste. Il en a été de même des nombreux psys et autres enquêteurs de personnalité qui se sont penchés sur son cas. Et qui ont tous décrit un jeune homme ordinaire. En dehors de son acte crimnel.

  Quand les lumières de la salle ont été éteintes, tout le monde se demandait encore pourquoi ce jeune a, un jour, décidé d'assassiner son père.


   Si la rencontre n'avait pas eu lieu dans une cour d'assises, elle aurait pu devenir une agréable collègue de travail ou une sympathique voisine de quartier. Elle était charmante, souriante, respecteuse, et elle aussi répondait à toutes les questions. Sauf une qui pourtant lui a été posée dans tous les sens et sur tous les tons.

  Malgré une apparente bonne volonté, elle n'a jamais été capable d'expliquer pourquoi elle s'était procurée un révolver et pourquoi, une fois son mari rentré de sa journée de travail, elle a attendu qu'il s'allonge sur le canapé et s'endorme pour lui tirer plusieurs balles dans la tête. A bout portant.

  La seule chose qu'elle a mis en avant, c'est qu'une séparation était en cours et qu'ils n'étaient pas totalement d'accord à propos de la garde des enfants. Mais d'après tous les témoins et les experts, il n'y avait en dehors de cela rien de très particulier dans la vie de cette femme. Elle avait un métier, de bonnes relations avec sa famille et ses amis, et un caractère lui permettant d'attirer aisément la sympathie de tous. Une femme décrite comme ordinaire.


   Trois procès n'ont pas permis de comprendre comment des faits aussi extrêmes avaient pu se produire. Jeune adulte quand le crime a été commis, il avait été élevé dans une famille qui jusque peu avant n'avait pas rencontré de difficultés majeures. Certes sa mère avait décidé de se séparer de son père, mais comme actuellement dans près d'une famille sur trois. Comme ses soeurs il avait grandi sans soucis matériels, les parents leur permettant d'accéder à un bon niveau d'éducation. Lui-même a admis n'avoir manqué de rien. Ses parents l'avaient même installé dans un petit studio au dessus de chez eux, afin qu'il bénéficie de plus de tranquilité et d'indépendance conformément à ses souhaits.

  Il n'empêche qu'un matin, avec son père, il a organisé un traquenard. Il a appelé sa mère qui partait au travail afin qu'elle monte jusque son studio, sans qu'elle sache que son conjoint s'y trouvait. C'est alors qu'avec son père il a tué sa mère. Puis, avec un copain, il est allé jeter le corps dans un sous bois. Puis ils l'ont brûlé. Puis il y est retourné le lendemain pour disséminer les restes.

  Tous ceux qui le connaissaient ont décrit un jeune homme ordinaire. Les psys n'ont rien décelé d'inhabituel hormis l'acte criminel. Et personne n'a jamais compris pourquoi, à supposer même que son père en ait voulu à sa mère, il a pu accepter et plus encore comment il a pu être capable d'accomplir de tels actes sur sa propre mère à qui, comme il nous l'a dit, il n'avait rien à reprocher.


   Il n'était plus tout jeune et était marié depuis bien des années. Sa vie n'aurait pas justifié que l'on en fasse un film mais tout son entourage le décrivait comme l'exemple même du "brave type". Gentil, aimant rendre service, accueillant.

  Malheureusement il s'est mis dans la tête qu'un autre homme s'intéressait à sa femme. Comme dans certains couples ont ne parle pas beaucoup, en tous cas pas assez, il a ruminé cette idée dans son coin et un jour est passé à l'acte. Il est allé jusqu'au magasin tenu par cet homme, a tiré un premier coup de fusil de l'extérieur puis un second sur l'homme tombé au sol. Cela avant que sa femme et ses amis lui expliquent qu'il ne s'était absolument rien passé avec l'homme assassiné d'autant plus, cela il ne le savait pas, que cet homme ne fréquentait que les hommes.

  Une fois de plus, tous les témoins suivis des psys ont décrit un personnage très ordinaire. Sans aucune pathologie mentale ni trouble apparent de la personnalité.

 

  Ce serait plus simple, et tellement rassurant, si tous les criminels étaient des monstres dont la pathologie mentale se lit sur la figure au premier regard. Ainsi nous pourrions sans aucune difficulté faire la différence entre eux (les méchants) et nous (les gentils). Et cela nous permettrait de conclure dès leur arrestation qu'ils sont irrécupérables et qu'il faut les écarter jusqu'à la fin de leur jour.

  Ainsi plus de débat sur le choix des peines, sur leur aménagement, sur les sorties de prison, sur la réinsertion. En prison, et pour toujours.


  Le problème c'est que ces criminels ordinaires, même si avant leur libération ils sont décrits comme ne présentant plus aucune dangerosité, ils peuvent à nouveau commettre un crime.  Mais c'est bien parce que la récidive criminelle est faible que l'on considère que le criminel d'un jour n'est pas le criminel de toujours.

  C'est aussi pour cela que, s'agissant des jeunes délinquants et notamment des jeunes criminels, il est judicieux, et de notre intérêt collectif, de favoriser leur retour à une vie plus sereine et plus droite. Tout en sachant, pour tous et sans aucune exception, que la récidive reste et restera toujours possible.


  Alors que faire ?

  Demain pas plus qu'hier les "psys" ne possèderont de boule de cristal leur permettant de deviner l'avenir. Sans doute peut on et même doit on chercher encore et encore à améliorer les connaissances psychologiques et criminologiques. Mais quels que soient les progrès il y aura encore demain des crimes commis par des délinquants ordinaires. Des crimes qu'il est impossible de prédire et donc de prévenir. Et il y aura aussi des actes de récidive de la part de quelques uns de ceux au bénéfice de qui tous les avis ont été favorables au moment de leur libération.

  Modifier les lois tous les trois jours n'y changera rien, sauf à faire croire que quelque chose est fait et à dissimuler notre incapacité à lire au plus profond du mystère de chacun d'entre nous. Mais les lois n'ont jamais aidé à sonder les âmes.

  Reste le débat sur l'enfermement.

  Faut-il parce que sur dix personnes bénéficiant d'avis très positifs l'une (et une seule) récidive maintenir les neuf autres en prison quand bien même elles auraient sans difficulté repris leur place parmi nous ?

  Faut-il quand des individus semblent avoir suffisamment progressé après avoir effectué le temps de détention prévu par la loi refuser de tendre la main à ceux qui veulent profiter d'une partie de leur existence pour faire quelque chose qui leur redonnera une autre image d'eux-mêmes ?

  Faut-il maintenir en prison des personnes pour lesquelles le pronostic est favorable au risque de réduire les possibilités de réinsertion et ainsi d'augmenter les risques de récidive liés à une trop grande marginalisation ? Le seul bénéfice serait de retarder le moment de cette récidive ce qui est une maigre consolation.


  La question fondamentale est celle des modalités d'encadrement de ces personnes.

  Peut-être n'est-il pas forcément judicieux d'orienter un jeune homme qui a admis avoir commis un viol dans une forêt vers un établissement scolaire mixte qui se trouve lui aussi en pleine campagne. Cela impose aux professionnels d'être à l'avenir encore plus attentifs sur les orientations envisageables. Mais la critique n'est recevable que si l'institution judiciaire possède tous les moyens de procéder autrement, notamment à travers des lieux d'accueil en nombre suffisant et aussi diversifiés que possible. Une orientation par défaut vers une structure qui ne correspond en rien au profil de l'intéressé, par exemple un centre éducatif fermé, peut avoir des effets très négatifs. (lire ici)

  C'est en cela qu'il y a quelque chose de contradictoire à demander sans cesse à la justice, aux travailleurs sociaux et aux psys de faire des miracles en rognant en permanence leurs moyens. Nous pourrons reparler sérieusement de tout ceci le jour où certaines décisions des juges des enfants n'attendront pas six mois pour être exécutées faute de personnel pour les mettre en oeuvre, et où les orientations ne se feront plus en fonction du nombre de places disponibles dans les divers lieux d'accueil mais en fonction de l'adéquation entre le profil du jeune concerné et les méthodes à mettre en oeuvre pour lui.


   Il n'était pas majeur et il avait déjà participé à un viol collectif. Il était décrit comme un jeune déstructuré, en rupture avec tout, et son avenir paraissait sombre. Le mot prison revenait souvent dans les rapports des uns et des autres.

  Puis un jour un éducateur l'a écouté un peu plus longtemps que les autres. Il a cru comprendre que ce jeune garçon, à cause d'une vie comportant plus de courbes que de lignes droites, se mettait volontairement dans des situations dangereuses. Sans comprendre lui même pourquoi.

  Alors il a contacté une entreprise qui fait du nettoyage acrobatique, avec ces gens que l'on voit très en hauteur avec des nacelles et des cordes de rappel. Il a tout expliqué à l'employeur, sans rien cacher. Et cet employeur a pris le garçon en stage. Il l'a mis dans des situations à risque. Mais cette fois ci il était payé pour cela.

  Quelques semaines plus tard l'adolescent était méconnaissable à tel point que l'on pouvait se demander s'il n'y avait pas erreur sur la personne dans les rapports de comportement rédigés par les éducateurs. Il y était fait mention d'un jeune homme ponctuel au travail, poli, sérieux. D'un garçon menant une vie plutôt banale.

  Il n'y avait pas eu de miracle entre le viol et le dernier rapport social. Seulement un geste de solidarité qui avait tout changé. Et qui avait permis de montrer que dans le corps et l'esprit de l'adolescent violeur il y avait aussi le corps et l'esprit d'un jeune homme ordinaire.

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Publié dans Revue de presse

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